Michel Bras (IV): le repas
Tout commence par la lecture du menu en sirotant notre apéritif: un vin blanc macéré à la pelure d'orange pour Olivier, une "fraîcheur réglisse et gentiane" pour moi. Olivier s'intéresse à la "carte" des vins qui se rapproche plus en taille d'un annuaire téléphonique ;-) Nous penchons vite pour un "menu découverte et nature" qui comprend la fameux gargouillou. Reste la problématique des vins... Nous faisons appeler le sommelier, tout en grignotant notre première "mise en bouche":
Oeufs brouillés au pesto et leurs mouillettes aux céréales croustillantes
Au départ, on cherche le pesto. Et puis lorsque l'on remonte la première cuillerée, un filet vert vif apparaît à la surface jaune de l'oeuf. L'ensemble est aérien et subtilement dosé. Les mouillettes sont vraiment très croustillantes.
Sergio arrive. Il nous propose de nous servir des vins au verre. Certains feront plusieurs plats, car cela nous ferait 9 verres! Pas vraiment raisonnable, hein, même si on dort sur place... A peine le temps de causer, une nouvelle mise en bouche est déposée sur notre table:
Fines tartelettes de cèpes
Il faut manger celle-ci d'une bouchée, car la pâte feuilletée est très fragile... Le cèpe est fondant et intensément parfumé. La pâte est aérienne et croustillante. Très bon! "Tu m'en feras à la maison!" me dit Olivier...
Puis une serveur nous propose de passer à table. A peine sommes-nous assis que Véronique Bras vient nous chercher afin de nous faire visiter la cuisine... Mais c'est une autre histoire.
Nous voilà de retour à table. A peine le temps d'échanger nos impressions sur la cuisine, arrive une troisième mise en bouche
Alors de mémoire, à gauche c'est de l'omble chevalier; au centre du caillé de brebis et à droite de la terrine d'agneau. Je demande à Véronique qui passe par là d'où vient l'omble chevalier. Elle me répond qu'il vien d'un élevage artisanal de Lodève. La poisson est transporté vivant jusquà Laguiole et attend son heure dans un vivier. Il ne peut donc pas être plus frais...
Un serveur approche. Les gargouillous aussi. Et notre estomac donc...
Le gargouillou de jeunes légumes;
graines et herbes, une huile au sureau d'ici.
Que dire qui ni pas déjà été dit? Contraste des couleurs, des textures et des saveurs. Comme on ne connaît pas la moitié des 50 composants, c'est la surprise à chaque bouchée. La cuisson des légumes est évidemment d'une grande maîtrise. Caché tout en dessous, une belle tranche de lard, élément primordial de la recette. Peut-être est-ce seul reproche que je fais à ce plat. On le découvre trop tard. J'aurais aimé en manger des petites bouchées ça et là avec d'autres éléments du plat...
Je n'ai pas parlé du vin servi: c'est un sauvignon classic 2000 du Domaine de la Madura (Saint-Chinian). Nez délicat d'amande fraîche et d'agrumes. Bouche ronde, fraîche, avenante. Pas un grand vin, certes, mais qui accompagne plutôt bien le plat.
A peine dit ça, un nouveau plat arrive:
le filet de turbot de Béganton poêlé à l'huile d'olive;
tomate, tomate cocktail roulée dans un jus noir, tombée d'oseille & boutons d'ail.
Il faut le reconnaître: le turbot est absolument superbe, tant par sa texture que sa saveur. La cuisson est vraiment parfaite! Pour le reste, c'est très bon, mais pas renversant. Mais peut-être en demande-je trop???
Trouverai-je mon bonheur dans le prochain plat? Réponse tout de suite...
la tranche de foie gras de canard poêlée;
abricot au parfum de noyau, touche de citron.
Sublime: le foie gras est vraiment exceptionnel par sa qualité, sa cuisson d'une précision incroyable et son goût, pour le coup, renversant... L'accompagnement est parfait, que ce soit l'abricot recouvert de fleur de serpolet, les amandes, les noisettes torréfiées ou les fleurs de monardes (les pétales rouges sur le foie gras) incroyablement parfumées. Pour compléter le tableau, le Jurançon 2004 de Charles Hours est absolument parfait. Il abandonne même ses parfums habituels de fruits exotiques pour un parfum d'abricot confit et de verveine. Son acidité tranche délicatement avec le foie gras. L'accord parfait!
truffe d'été & truffo
Qu'on ne s'y trompe pas. Truffo signifie pomme de terre en Auvergne (d'où la fameuse truffade). Il se cache donc une crème de pomme de terre à l'intérieur de ce cylindre croustillant. Les truffes d'été sont excellentes. Le reste un peu fade par contraste. Le cylindre mériterait d'être mangé à la main pour y prendre un maximum de plaisir. Mais on n'ose pas... Dommage. Le découpage est un peu ardu. Vous avez plein de petits morceaux dans l'assiette. M'enfin.
On nous a servi un Solen 2002 du Domaine d'Aurel: la robe est sombre, le nez est superbe, presque pomerolais avec ses notes de truffe, de pivoine et de terre. La bouche est massive, les tannins sont denses et polis. La fin de bouche généreuse et parfumée. Très bon vin qui accompagnera aussi le plat suivant:
la poitrine de pigeon rôtie sur os;
jus au lard & sésame, maïs doux, blette & balsamite
Je dois le dire: j'ai pris la photo un peu tard. J'avais attaqué le plat lorsque je me suis dit: "P..., la photo!". C'est donc un peu mieux présenté que ça... Là encore, la cuisson est parfaite. Le meilleur pigeon de mon existence. Mais comme pour le turbot, ça pêche pour moi au niveau de l'accompagnement. La balsamite, c'est plutôt intéressant. Mais la blette et le maïs n'ont rien d'emballant. Dommage, car je le redis, le pigeon est génial, et l'accord met/vin frise la perfection!...
Afin de faire le lien entre le plat et le fromage, il nous est servi une assiette d'aligot, qui est un mélange de purée de pommes de terre et de tomme de cantal fraîche. Simple et bon. Le service de ce plat vaut le coup d'oeil. Ca bouge!
Et nous sommes déjà au fromage. Je n'aime pas ce moment-là au restaurant. On sent que le fin approche... Le plateau est bien tentant. Voyons, voyons...
En accord avec le sommelier, nous sommes partis sur du vin blanc. J'ai donc choisi des fromages qui iraient le mieux avec.
Devant, une tomme de vache, plus haut un Laguiole 18 mois, un rocamadour, un autre chèvre, et puis l'autres, j'sais plus... Le rocamadour est d'une fondant incroyable, et la tomme de Laguiole excellente. Nous buvons donc avec ça un Arbois 2000 "cuvée sacha" de Jacques Puffeney. Nez oxydatif sur la noisette et et le curry, bouche ample et ronde, sans sécheresse, mais d'une belle fraîcheur. Longue finale. Un beau vin qui se marie particulièrement bien avec la tomme de 18 mois.
Et voilà un petit clin d'oeil:
Sur une interprétation du coulant, originel de 81;
le biscuit tiède coco aux fruits rouges:
sorbet au poivron rouge
Je ne sais pas s'il a fait ce dessert parce qu'il s'est dit que par ces chaleurs, le chocolat, c'est un peu too much, ou parce que le dessert originel a été tellement copié qu'il devait se renouveler. Quoiqu'il en soit, je reste sur ma faim. J'aime tellement le chocolat!!! Ceci dit, c'est bon, coulant à souhait. Le poivron rouge et les fruits rouges se fondent bien. Mais Michel, rends-nous l'Originel!!!
Et v'là une autre nouveauté, servi comme le plat précédent avec un Rasteau 2000 du domaine de la Soumade: robe sombre, nez sur la cerise noire et le moka. Bouche onctueuse et fraîche. Belle liqueur.
sous une croûte à l'olive noire,
compotée de cerises à l'origan et yaourt glacé.
Ben c'est très bon, ça! Cerise, olive noire et origan font bons ménage. Y a du croustillant, du moelleux, du chaud, du glacé. Un p'tit régal! Dommage que l'on commence un peu à saturer. D'ailleurs, Olivier ne mangera pas le dessert qui suit...
A Murat, le cornet est fourré de crème;
ici la corolle d'hémérocalle du jour est garnie
d'une saveur fraîche & épicée, jus de fraises.
La saveur fraîche et épicée, c'est du gingembre. C'est très bon, mais là encore pas renversant...
Pour finir, arrive quelques friandises:
Ca c'est picoti-picota ;-)
Les billes ne se mangent pas!
Et là des billes qui se mangent!
(enfin celles du dessus)
Le garçon nous invite à retourner au salon pour prendre le café. Nous avons cette grande pièce pour nous tout seul...
Avec le café, arrivent encore quelques mignardises...
crèmes de lait au café et à la fraise
crunch aux céréales
et les "canards" à l'eau de vie
Après tout ça, il ne restait plus qu'à boire un bon digestif...
Pour Olivier, ce fut un Bas Armagnac 73, et moi
Une chartreuse Tarragone
"Cuvée du centenaire"
une petite merveille!!!
Et il ne restait plus qu'à se coucher, 50m plus bas ;-)
Que dire de cette soirée? Tout d'abord une très belle ambiance à laquelle participe l'ensemble des "acteurs": que ce soit la famille Bras, très présente, les serveurs, le sommelier. Tout le monde est au petit soin avec un grande chaleur humaine. On se sent vraiment à l'aise car il n'y a pas le cérémonial des grands restaus parisiens.
Pour être honnête, la cuisine m'a moins bluffé que lors de notre première visite il y a 3 ans. J'admire le travail des cuissons, la qualité des ingrédients, les très belles présentations, mais j'aurais aimé être plus étonné, plus ému aussi. Je comprends la difficulté de se renouveler et de toujours surprendre, mais n'est-ce pas ce qu'on attend de tels établissements?
Peut-être devraient-ils s'inspirer de Cordeillan-Bages: faire tester chaque dimanche les inventions de la semaine, et ne garder que ce qui plaît le plus aux clients... Je ne suis pas certain que l'accompagnement du pigeon ou du turbot auraient dépassé le stade du test.
Il est certes facile de critiquer. Mais si l'on crie au génie quand ce n'est pas mérité, je ne vois pas comment il est possible de se remettre en question et d'avancer.
Quoiqu'il en soit, ce séjour fut absolument remarquable, et nous nous en souviendrons longtemps!